Lettre ouverte au pape François

Cher François,
Puisque tout le monde par ici s’y met, je t’écris à mon tour. Je n’en ai pas l’habitude. Écrire des lettres de nos jours n’est plus très commun. Forcément, on les écrit à la machine, et même à l’ordi, ce qui ne se fait pas, paraît-il. Or, je n’ai pas du tout envie de te manquer de respect.
Mais voilà, mon écriture manuelle est illisible. Mes idées vont trop vite. Pas moyen de mettre un peu de mesure et de forme dans tout ça. Je t’écris donc à la machine. Beaucoup de gens le font.
Je t’écris pour moi. Sachant que ma lettre ne te parviendra pas. Comment imaginer que des gens pleins de sollicitude n’auront pas écarté ma lettre de celles que l’on juge dignes d’être lues par toi ? Simplement parce que je n’y traite pas de manière assez conventionnelle de la foi. Il t’est également impossible de trouver la force, le temps de lire toutes les lettres que l’on t’envoie.
Je t’écris, pour cette raison, disons, une lettre ouverte. C’est le genre de lettre qu’un peu de monde lit quand même. En principe, une lettre ouverte est dûment adressée à son destinataire. Les gens qui la lisent essaient d’imaginer sa réaction, même s’ils savent très bien qu’il ne l’a pas lue encore. Ils en commentent les idées. Ils en attendent une réponse. L’objectif d’une lettre ouverte est de susciter un petit mouvement d’opinion pour attirer l’attention de son destinataire, pour susciter sa réaction, en général une prise de position qui tarde à venir.
Je ne t’écris pas parce que tu es passé à Saint-Gilles, où tu as mis les pieds dans mon café préféré : le Verschueren. Je ne vais pas te demander tes impressions. Le Verschueren ressemble à certains cafés que l’on trouve dans le monde entier, surtout dans des grandes villes. Tu as dû te sentir un peu dépaysé. Mais le café était là, juste devant l’église, qui, pendant quelques années, a servi de quartier-général à Bruxelles à l’ordre de Jérusalem qui a laissé de bons souvenirs.1 Il t’a accueilli comme tous ceux qu’il accueille tous les jours. Sans faire de cérémonie. Cela a dû te changer un peu. Mais c’est ce que tu aimes, paraît-il.

Mais arrêtons d’enfoncer des portes ouvertes.
Je t’écris parce que je ne sais pas si tu t’es fait cette réflexion, mais depuis que tu as été élu pape, l’Italie est passée sous la gouvernance d’un parti d’extrême-droite. La Hongrie l’était avant ton élection en mars 2013. Viktor Orban était redevenu premier ministre en 2010 et il l’est toujours. Une fameuse longévité. Aux Pays-Bas, itou, l’extrême-droite est aux commandes depuis mai 2024. En Finlande, l’extrême-droite fait partie du gouvernement. En Suède aussi. Et en Croatie également, depuis mai 2024. La Belgique est plus tordue encore. En Belgique, l’extrême-droite est bel et bien au pouvoir, au sein d’une coalition qui ne vaut pas mieux qu’elle, mais le parti d’extrême-droite au pouvoir a renoncé il y a belle lurette à cette étiquette pour se positionner en challenger, en garde-fou contre l’extrême-droite. Ainsi, l’extrême-droite sert-elle à faire barrage à l’extrême-droite. Dans sa roue en effet, un autre parti d’extrême-droite.
En 2010-2011, pour éviter que l’un de ces partis ne se retrouve aux commandes du pays, la Belgique est demeurée 541 jours sans gouvernement. Un record historique.
Ne parlons pas du Tiers-Monde, où les choses sont souvent encore beaucoup plus effrayantes. Je songe notamment à l’Égypte, à l’Équateur, pourtant tous deux bien partis. Je me demande ce que devient la Bolivie ? Et tant d’autres encore.
L’Argentine n’en a pas fini non plus avec l’extrême-droite. Et pourtant, combien de fois ton courageux peuple a démontré son aversion pour la dictature et pour l’extrême-droite.
C’est cette évolution qui a, à mon avis, entraîné la démission de ton prédécesseur, et entraîné ta propre élection. Ton prédécesseur avait probablement une vision tragique de cette extrême droite. Il n’était pas prêt à tomber une fois de plus sous sa coupe.
Je ne saurai jamais ce qui a réellement motivé la démission de ton prédécesseur en 2013. Tous deux, Benoît et toi, vous avez entretenu des liens avec des dictatures, vous avez vécu, souffert, de la dictature. On vous a accusés d’avoir soutenu ces dictatures. Je ne me souviens pas si cela a joué un rôle dans la décision de Benoît VI. Et je dois dire que j’ai autre chose à faire que d’enquêter à ce sujet.
Il y a environ un an, j’ai vu à Bruxelles une petite pièce qui a tourné pendant quelques mois au sujet de votre relation et quelques raisons y étaient bien invoquées. Je pense que la principale, c’était le dégoût de la chose publique, le besoin de prendre congé du monde, et de prendre une retraite méritée. Je ne me souviens plus des autres.
Tout ce que je peux dire c’est qu’on dirait bien qu’on n’en a pas fini avec la dictature.
Tu es mal tombé, Paboum. Tu n’es pas à l’origine de cette évolution. Mais un peu quand même, vu les liens étroits que l’Église entretient un peu partout avec l’extrême-droite.
Je planche pour le moment sur la situation au Congo, et là, surprise, qu’est-ce que je découvre : un régime qui se fascise de nouveau à vue d’œil. Ils savent pourtant les Congolais, combien la dictature est monstrueuse. Les Congolais auraient pu éviter cette dérive s’ils avaient élu il y a six ans un candidat prochinois, mais ils ont préféré faire l’inverse. Ce n’est pas le candidat prochinois qui a accédé au pouvoir. Ce n’est pas non plus le candidat effectivement élu, qui a été écarté. Mais le candidat le plus connu des Occidentaux. L’autre candidat, celui qui, sur le plan quantitatif a remporté le scrutin, étant, pour tout dire, inconnu des Occidentaux, ou du moins de l’opinion publique occidentale. Les Congolais sont parvenus à une sorte de compromis en s’appuyant sur une mini-révolution de Palais à dominante orange. Sur un coup d’état constitutionnel.
Il m’est impossible de dire si l’on a plutôt voulu empêcher une fois de plus les Occidentaux d’imposer leur choix, leur vérité, qu’ils avaient depuis longtemps fait connaître aux électeurs, ou si, au contraire, ils ont voulu tenir compte de leur intérêt pour l’un des candidats.
Les Occidentaux, qui s’intéressent au Congo, et y pratiquent une ingérence à peine dissimulée, depuis des générations, eux, le connaissent bien. Ils ont bien connu son père. Ils soutiennent depuis longtemps son parti. Et du reste, ils ne sont pas restés inactifs. Si le candidat prochinois n’a pas été élu, c’est que les puissances néocolonialistes ont pris les devants, et confisqué les biens, l’argent placé dans des banques occidentales par divers dirigeants du parti de ce candidat. Ils ont placé certains de ces dirigeants sur une liste noire le menaçant de les arrêter s’ils voyageaient en Europe par exemple. Ils ont répandu des rumeurs.
L’Europe, cette Europe démocratique, en particulier le pays de ton serviteur, a œuvré pour rendre impossible son élection.
Or les dirigeants qui font partie du PPRD1 sont les moins fascistes de tous les dirigeants congolais actuels. Pour tout dire, ce ne sont pas des fascistes. Eux au pouvoir, tout risque de coup d’état fasciste, de dérive fasciste était écarté.
Mais pas tout danger pour autant ! Les Congolais ont préféré repousser ce danger, profiter un peu de la stabilité retrouvée depuis quelques années.
Ils sont aujourd’hui confrontés à une échéance. Mais la situation n’est plus du tout la même. De plus en plus, les dirigeants qui sont au pouvoir font penser à des dirigeants d’extrême-droite. Leur sombre passé inquiète. Il faut s’attendre à un avenir plein de difficultés.
C’est ici que tu interviens François. Enfin, si tu le veux bien.
Dans un pays comme le Congo, la religion catholique est celle qui exerce la plus grande influence, même si toutes sortes d’autres confessions y ont trouvé depuis longtemps un terrain propice à faire des émules.
Il serait temps cher François que tu fasses le ménage. Tu le sais, toi, que la sainte Église catholique a souvent servi à financer, à couvrir des dictatures fascistes. Il est même arrivé qu’elle finance des coups d’état fascistes. Religion et politique entretiennent un rapport complexe, je sais, mais quand même ! Tous deux ont pour mission de ménager des croyances, de les rendre possibles, et de générer une unité. La politique ne fait pas ce qu’elle veut. Il s’agit quelquefois d’agir coûte que coûte. Et la religion est forcée d’en tenir compte. Mais entre tenir compte de certaines réalités, et servir d’instrument à des putschistes et à l’extrême-droite, il y a de la marge.
Depuis des lustres, l’Église joue un rôle secret, prépare, avec l’un ou l’autre gouvernement, les coups d’état à commettre dans diverses parties du monde. Je me demande même si ton Église n’a pas joué un rôle dans le coup d’état à Kiev en Ukraine en février 2014. En tout cas, elle est bel et bien impliquée dans le schisme de l’église orthodoxe ukrainienne, et ipso facto dans les poussées expansionnistes de l’Occident à l’Est, en particulier en Ukraine. Ah, cette fâcheuse influence religieuse si propice à cet Occident conquérant!
Politique et religion ont un rapport qui semble souvent très étroit. Ne parlons pas du drame qui se joue pour le moment au Proche-Orient dont la cause est largement religieuse, même si elle est également politique.
Il est temps que tu fasses quelque chose. C’est ton domaine François ! C’est toi qui peux, par une encyclique, par exemple assigner à l’Église un rôle dans les conflits liés à la politique, limiter ce rôle, lui conférer des garde-fous. Il faut condamner sans atermoiements certaines formes d’implication, par exemple lorsque l’objectif poursuivi est la mise en place d’une dictature fasciste.
Il faut faire le ménage, c’est-à-dire vider ton église de ceux qui prétendent en faire un moyen, un instrument politique. L’Église peut inspirer la politique. Elle ne peut pas servir à contraindre un peuple. Ni servir à propager une idéologie comme l’idéologie fasciste.
Combien de fois dans des pays d’Amérique latine le haut clergé n’a-t-il pas trahi le bas clergé luttant contre cette idéologie !
Essaie de rédiger cette encyclique, François. Si tu en as encore la force. Prends ta revanche. Sépare le bon grain et l’ivraie. Fascisme et catholicisme n’ont rien en commun.
Que l’histoire tragique de ce dernier siècle t’inspire.
Sois assuré de toute ma sollicitude,
Paul Willems (ancien prof de religion)
- https://www.catho-bruxelles.be/fraternites-monastiques-de-jerusalem-se-retirent-de-bruxelles/ ↩︎
- Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie ↩︎