L’histoire du Plumitif et de son blog est à faire. C’est l’histoire d’une recherche. Celle des mots capables de rendre compte de la réalité, en dépit de ceux qu’on a l’habitude d’entendre, et qui croient à tort rendre compte des faits. Ou de rendre compte d’une autre réalité. D’un langage.
J’aimerais commencer chronologiquement. Mais pour cela je dois essayer de me représenter les faits. Comment ai-je appris telle chose? Comment ai-je décidé que j’allais en parler? Les attentats du 11 septembre par exemple. En quoi cela m’intéresse? Il y a toute une archéologie à faire.
Pourquoi ai-je décidé tout d’un coup de fabriquer cette petite feuille de chou qui s’est intitulée L’Exclu. Et même L’Exclus. Avec un s. Je voulais lancer un journal. Pourquoi fut-il tellement difficile de mettre un pas devant l’autre. Rédiger un ou deux articles. Les mettre en page et les imprimer avec la machine dont je disposais alors. Avec une bête imprimante A3 couleur à jets d’encre. Bien plus pratique que je ne me l’imaginais.
J’essaie de rassembler mes idées.
Écrire, c’est dire un pour cent des choses qu’on l’on a à dire. Il faut faire un choix. Il faut en faire sans arrêt. C’est trouver des mots clefs, des idées clefs. Dans mon premier Plumitif, dans l’Exclu n°1, le mot clef du premier article, C’est le mot « oubliés ». Le mot Town Ships est mal choisi. Je donne dans le misérabilisme. Alors que l’idée, c’est que dès qu’on a le dos tourné, il se passe énormément de choses. Or, en novembre 1990, il n’était question que de la guerre dans le Golfe. J’aurais dû toucher un mot de cette obsession, de cette crise d’un nouveau genre, mais il me semblait plus indiqué de ne pas en parler. Je sous-entends. Je n’ai pas non plus envie de prendre la défense de l’Irak. Même si c’est la seule chose à faire à ce moment-là. je prends sa défense en parlant d’autre chose. En montrant l’Occident à l’œuvre dans un autre coin du monde. L’Irak a bon dos.
Je parle de la politique africaine; beaucoup de blabla. C’est moins faux que ce qu’on lit d’habitude, mais ce n’est pas très documenté. Pour écrire quelque chose de documenté sur des évènements, il faut très bien connaître le contexte, se documenter depuis longtemps sur le pays, la ville où à lieu cet évènement.
Je n’ai pas envie de passer mon temps à faire de la pub, à mentir. Je préfère réaliser un nouveau numéro. Le 29 du même mois, je sors le second Exclu. Je continue à mettre un s à Exclu. Je parle de moi sans parler de moi. Il n’y a qu’un seul article. Mais le journal fait 4 pages. L’article s’intitule: Des perditions qui se perdent dans l’Enseignement. Les premiers paragraphes sont bien rédigés. Ensuite, c’est le chaos. À cause d’un mot : unanimité. J’aurais voulu dire entièreté: Quelle entièreté aussi, de la part de son syndicat! Mais ce mot là non plus ne convient pas parfaitement. Quelle extraordinaire conviction non plus. Que dire: quel emportement, quelle prise de position radicale, cela aurait pu convenir. Il aurait été plus juste de dire: pas le moindre atermoiement dans le chef de son syndicat. Je parle du SEL. De l’affaire Joseph Hick. Il me semble qu’on traite d’un problème très marginal. On terrorise les enseignants. On a affaire à une sorte d’interdit professionnel. Mais personne ne se demande s’il ne s’agit pas d’un interdit professionnel. Si cet interdit ne vise pas quelque chose d’autre que la formulation d’idées jugée incorrecte par un élève qui tient lieu de prétexte. L’enseignant commet une maladresse. Il critique l’école. Et il se fait virer. Mais est-ce une maladresse. Il y a tant de choses à dire sur l’école. Il y a des passages intéressants dans mon article dont une grande partie est consacrée à mon propre cas. Mais il manque non seulement de rigueur, mais de clarté.
Je publierai plus d’une centaine de feuilles de ce genre. Elle changera plusieurs fois de nom. Je finirai par l’appeler Le plumitif. À la fin des années 90, il y aura trois abonnés. Le style a changé. Il est beaucoup plus pétaradant. Je parle beaucoup du Congo, de Kabila, de la guerre. Je critique de manière directe le point de vue, les élucubrations des médias. Leurs inventions. Leurs théories bidon. Je m’aperçois qu’ils disent parfois n’importe quoi. Ils accusent Kabila de génocide par exemple. C’est faux. C’est beaucoup plus compliqué que cela. En fait, ils mettent sur son compte un des nombreux massacre de masse commis par Kagame, qu’ils protègent. C’est de la subrogation. D’un autre côté, ce sont les capacités stratégiques de Kagame (ou des Américains) qui semblent permettre à Kabila de prendre le pouvoir. Les Américains commettent le même genre de massacre pendant la première guerre du Golfe. Ils anéantissent une armée entière en quelques tours de cuillers à pot. Mais évidemment, dans ce cas, personne ne parle de génocide. Je passe plusieurs années à défendre Kabila. Je table surtout sur le caractère sensationnel des titres que je trouve. Je m’occupe davantage de la mise en page. Mais je ne dispose d’aucun moyen. Mon Plumitif est une feuille de chou underground qui propose des mises en page assez rocambolesques, mais qui est encore et toujours diffusé sous forme de photocopie. C’est beaucoup dire qu’il est diffusé. Il m’arrive d’en photocopier une centaine et de n’en diffuser qu’une dizaine. En fait, personne ne s’intéresse à Kabila. Sauf le PTB. Ludo Martens rédige un bouquin sensationnel à son sujet qui a à peine plus d’impact que mon Plumitif. Sauf parmi les Congolais qui le connaissent bien.
Aux alentours des années 2003-2004, je mets en ligne un blog sur sur Internet. Je le reconstruirai plusieurs fois. Le second blog a un certain succès. Je suis accroché au blog. Je réagis sur des questions d’actualité.
J’espère un jour réaliser un recueil des articles que j’ai publiés pendant cette période.
Et au milieu ou vers la fin des années 2010, je finis par me contenter de Facebook. Je trouve beaucoup d’informations sur Facebook. Je bataille pour les Grecs, contre l’Eurogroupe, pour la Syrie, contre les interventionnistes. Je passe beaucoup de temps à me documenter. Notamment sur les OGM, sur le réchauffement climatique, sur le système financier.
Concernant l’Ukraine, les choses se sont passées ainsi. J’ai réalisé un recueil d’articles concernant la guerre dans le Donbass. Sans beaucoup approfondir les choses. Mais j’étais résolument contre le régime ukrainien, pour ces gens qui ne voulaient pas entendre parler des fonds d’investissement américains, d’une rupture avec la Russie, qui voulaient continuer à parler leur langue, qui résistaient au rouleau compresseur ultralibéral, en train de ne faire qu’une bouchée de leur pays, dévorer leur pays, l’Ukraine. Quitte à s’en séparer, à voler de leurs propres ailes.
Les gens ont changé depuis les années 90. La situation aussi. Leur sens critique s’est émoussé. Il n’y a pas de débat public au sujet de l’Ukraine. La plus grande partie des débats, des prises de positions servent à justifier le gouvernement ukrainien, à stigmatiser les Russes. il en est ainsi depuis bien avant le 24 février 2022.
Lorsque les Russes passent à l’offensive, je suis convaincu qu’il n’y a rien d’autre à faire. Mais la propagande est unanime. Elle critique l’invasion russe. Je me demande un moment sur quel pied danser. Je me demande quoi. Et puis subitement, je me dis une chose: c’est faux. Les médias mentent en bloc. Il y a longtemps qu’ils en ont pris l’habitude. Ils ne disent pas la vérité. Il faut prendre à tout prix le contre-pied de ce qu’ils racontent. J’essaie de construire un modèle d’argumentation pour démonter plus facilement les constructions qu’ils échafaudent. Je connais Chomsky depuis longtemps. Je le lis et le relis. Je passe mon temps à me documenter. Je prends avant tout position sur Facebook. Je défends le bien-fondé de l’intervention russe, que je juge inespérée. Je me dis qu’il faut arrêter l’OTAN et surtout l’Union européenne. J’ai acquis la conviction qu’en fait, c’est l’Occident qui a envahi l’Ukraine. Il a organisé un putsch, et depuis lors, il a pris en main les commandes de ce pays. Il a délibérément provoquer une guerres en s’efforçant de ridiculiser les Russes, en les critiquant à tour de bras, en se moquant des accords de Minsk. Les Ukrainiens n’ont rien à dire. L’Occident se sert d’une minorité agissante originaire de Lviv, dont l’idéologie est le néonazisme, qu’il a placée un peu partout aux commandes. Il faut une certaine force de caractère pour rejeter en bloc les affirmations occidentales alors que les Occidentaux réagissent avec passion, qu’ils semblent plus déterminés que jamais, qu’ils mentent avec effronterie, qu’ils profèrent des menaces.
J’ai un peu oublié le Plumitif dans l’intervalle. La feuille de chou n’existe plus. Le blog est une fois de plus à refaire.