Et on brode et on brode

Avanti populo!

Et on brode et on brode

On est le vingt-et-un. C’est le centième anniversaire de la mort de Lénine. Dans les médias, c’est le branle-bas-le-combat. C’est un tabac. C’est surtout une logorrhée. L’on table sur l’ennui, sur une sempiternelle logique évidencière, pontifiante, qui déclare par exemple, que tout le monde a oublié Lénine, sans rappeler en même temps que tout le monde a aussi oublié Churchill, Roosevelt, De Gaulle, y compris dans l’hexagone, voire Nixon, et sur des circonvolutions à n’en plus finir pour endormir le public, et les masses avec lui. C’est faire beaucoup d’honneur aux auteurs de ces torchons d’en évoquer les frasques. Eux-mêmes ou elles-mêmes n’en sont pas forcément très fiers. Ou, alors, c’est la fierté qui les anime. Fiers de bourrer les pages d’un grand quotidien, de parler d’un sujet tabou, et de plastronner. Je ne lis pas leurs élucubrations. Je ne suis pas abonné. Mais beaucoup de gens les lisent. Croient y trouver des réponses à à propos d’une question difficile, de son absence, de son oubli. Tout cela est tellement confidentiel. Même sur Internet. Cela en vaut-il la peine ? Les grands médias servent à influencer l’opinion publique et se servent de tout à cette fin. Probablement est-ce le PTB qui, à l’heure actuelle, sert de cible: « et le PTB a changé. Et il a mis une sourdine à ses origines léninistes. Et le PTB ceci, et le PTB cela ». De fait, on n’entend plus beaucoup parler de Lénine au PTB. C’est le seul endroit en Belgique où l’on en parlait de temps en temps. Je veux dire en dehors des sectes qui en célèbrent quotidiennement la mémoire. Il n’y a presque plus moyen d’entendre parler de Lénine. Restent les cercles académiques au jargon incompréhensible chargés d’élaborer l’idéologie dominante.
De tous les babillages de ces plumitifs, il ressort avant tout une chose: leur société à eux est exemplaire. Pas celle qu’a créée Lénine et ceux qui l’ont suivis. Ceux-ci servent de contre-exemple. Tel est le message subliminal qu’ils entendent encore une fois délivrer. Analyser leurs bêtises, leur propagande ne sert pas à grand-chose. Telle le phénix, la croyance fondamentale qui leur correspond, renaît toujours plus séduisante, superbe. Même après un siècle. Il s’agit avant tout d’enfoncer le clou.
Le gros problème de Lénine, c’est moins l’impérialisme que sa propagande. Les guerres et les massacres ne suffisent pas à y mettre un terme. Et ils ne mettent donc pas fin aux horreurs qu’elle sert à banaliser, à justifier, à provoquer, qu’elle appelle constamment de ses vœux.

Combattre l’impérialisme n’est pas une tâche aisée. Le défendre, le couvrir, nier les faits qui le contredisent, est beaucoup plus aisé. De sorte qu’il suffit le plus souvent, tout simplement, de nier son existence. Pour la plupart des gens IL N’Y A PAS D’IMPÉRIALISME. Cela a existé, mais cela n’existe plus. Sauf peut-être en Russie.
Il y a cent ans, il a fallu quelqu’un comme Lénine pour prouver son existence, c’est-à-dire pour lui donner un minimum de fil à retordre. Mais, depuis, les puissances impérialistes ont rebattu les cartes, elles ont modifié la configuration des choses, transformé les relations internationales. Elles les ont placées sous la coupe de prétendues grandes organisations, qui lui obéissent au doigt et à l’œil. Elles ont décolonisé, certes, mais à quel prix. Elles en ont profité pour ruiner, saccager les pays qu’elles ont décolonisés. Elles les ont dévastés les uns après les autres. Elles sont même parvenues à prétendre le contraire, et à les accabler de reproches, à tout leur mettre sur le dos. Et elles leur ont imposé les dirigeants qui leur convenaient à elles, pas à leurs peuples. Ces dirigeants adhèrent a priori à leur vision des choses. Ils ont jugé indispensables leurs conseils et leur aide, loin d’être gratuite, contrairement à ce qu’elles laissent entendre. Et elles leur ont pompé leurs ressources financières et autres. Toutes leurs ressources. Loin de servir à reconstruire les infrastructures détruites, leur prétendue aide a surtout servi à fournir à ces dirigeants les armes nécessaires à réprimer dans le sang les peuples qu’elles persistent à prétendre dépouiller. Comme si cela allait de soi. Il n’y a plus depuis longtemps de Lénine pour les dénoncer, et elles ont le champ libre. Elles en profitent. Et ces dirigeants du Tiers-Monde, le plus souvent des despotes de la pire espèce, se sont empressés d’ouvrir des comptes en Suisse ou dans d’autres paradis fiscaux pour mettre l’argent qu’ils extorquent à leur propre peuple. Depuis longtemps, ce sont même souvent des élèves des principaux économistes occidentaux. Ou des hauts fonctionnaires des grandes organisations créées par les puissances occidentales.

Pour cet impérialisme, tous les malheurs du monde se résument depuis un siècle à une seule personne : Lénine. Et leurs savants, leurs grands historiens de prouver leurs dires de toutes les façons. Tout cela au nom de la science et de la liberté d’expression. Et même de la révolution.

Faisons le point, ne fut-ce que pour la forme, au sujet de cette littérature. Ce ne sera pas long.

Il y a un bon bouquin publié aux éditions La Fabrique, Lénine et l’arme du langage de Jean-Jacques Lecercle. Je ne l’ai pas lu, mais le quatrième de couverture est édifiant. Il expose parfaitement le problème. À lire, à mon avis, par tout militant qui se respecte. Par les autres aussi: on ne sait jamais.

Il y a la réédition d’un livre sur la terreur sous Lénine1, un opuscule qui avait été publié une première fois en 1977 et qui abondait dans le sens de Soljenitsyne, alors au faîte de sa gloire. Ce livre de J. Baynac, A. Skirda et C. Urjewicz n’est pas un livre d’histoire. Il prétend faire la description de la terreur sous Lénine. En fait, il n’est question que de la terreur rouge, celle à laquelle les bolcheviques ont recours pour combattre celle de l’adversaire, autrement plus perfide et dévastatrice. Les auteurs se servent en les déformant pour les discréditer des explications conférées à leurs actes par les bolcheviques et en particulier par Lénine.
L’on trouvera donc dans cette réédition, qui profite de la guerre en Ukraine pour tenter d’associer la Russie actuelle à ce dossier à charge, une nomenclature fouillée et documentée des prétendus crimes du seul camp révolutionnaire sous Lénine. Et, pratiquement, l’apologie des crimes d’autres révolutionnaires contre ce camp, dans un contexte où ils apportent un soutien objectif quoique le plus souvent involontaire, à la terreur blanche et internationale qui dévaste, à ce moment-là, la Russie.
Alors que les armées blanches et les corps expéditionnaires étrangers font alors, eux, réellement régner la terreur en Russie, comme lors de toute révolution, la contre-révolution et le sabotage, la trahison, le sectarisme font fureur, et les bolcheviques prennent le taureau par les cornes. Ils ont l’audace de riposter, de ne rien laisser au hasard, afin de gagner la guerre, ce que dénoncent les auteurs du livre.
On a affaire ici à une constante de l’impérialisme. Pour ce dernier, il s’agit toujours de discréditer tous ceux qui font face à la terreur qu’il organise ou qu’il soutient lui-même avec tous les moyens dont il dispose : argent, flotte, armée, économie et propagande. Cela lui permet de déployer sa propre terreur sans avoir l’air de vouloir du mal à des gens, sauf à ces fichus révolutionnaires. Pour l’impérialisme, comme pour le fascisme, leur propre terreur n’existe pas. Tout simplement parce qu’elle est fondée.
C’est même un des fondements de leur propagande. Bombarder Saddam Hussein se justifie. Bombarder Bachar aussi. Pyong-Yang. Hanoï. Pour l’impérialisme, les révolutionnaires sont des voyous. Des brigands. Lénine est un monstre. Et les auteurs du ivre de prétendre que la catastrophe qui frappe la population russe, la famine qui fait 6 millions de victimes sont causées par les seuls bolcheviques. Et à l’appui de cette affirmation, ils alignent toute une argumentation faisant état des soi-disant erreurs théoriques des bolcheviques et de Lénine distinguées par d’autres révolutionnaires, par Rosa Luxemburg, ou par les bolcheviques eux-mêmes. L’érudition de J. Baynac est indéniable. Mais la présentation à laquelle il procède de la révolution russe est largement à côté de la plaque. Le livre évoque avec une certain réalisme la situation née de la guerre civile et les problèmes qui se posent aux révolutionnaires. Mais il ne fait pas la part des choses.

Il y a des centaines de livres consacrés, à Lénine. Ce sont les deux livres publiés ou republiés à l’occasion de l’anniversaire de sa mort dont j’ai eu vent jusqu’à présent de l’existence. Je n’en commente pas d’autres.

Quant à la presse mainstream, à l’occasion du centième anniversaire de la mort Lénine, elle se paie le luxe de publier d’insupportables tartes à la crème, qui trahissent les faits, qui font mine de regretter que la révolution russe n’ait pas été une révolution humaine, pacifique, non-violente. Bref, ils mettent toute la violence sur le dos des révolutionnaires. Ou, plutôt, ils en condamnent la violence. L’un d’eux, dans le Figaro, titre que l’on n’a pas encore mesuré l’ampleur du désastre causé par la révolution d’octobre. 
Pourtant, ce ne sont pas les désastres qui inquiètent en général les médias et les chancelleries des pays démocratiques, mais leur manque, l’absence de désastre. Les démocraties occidentales sont avides de désastres. En tout cas, dans le reste du monde. Elles s’en nourrissent comme de pain. Elles vont jusqu’à les provoquer. Elles les aggravent volontiers. Elles les limitent un peu, pour empêcher qu’on parle de désastre quand cela ne les arrange pas. Elles fournissent une aide alimentaire. Elles mobilisent l’ONU. Mais avant tout pour imposer un cadre qui correspond à leurs besoins à elles, autrement dit pour empêcher les peuples concernés de résoudre leurs difficultés. Elles imposent leur stratégie. Elles en profitent pour mettre en place des régimes qui terrorisent la population comme en Haïti. En même temps, elles dissimulent leur indifférence derrière une panoplie d’organisations dites humanitaires. Dès qu’un désastre se produit, leurs ONG se précipitent. On les voit partout. Elles occupent l’espace, exhibent leurs 4×4, recourent à des slogans à tour de bras.
Tout cela ne ressemble pas fort à la terreur, mais c’est la terreur qui sert à l’imposer.
Certains pensent qu’elles sont même à l’origine de tremblements de terre.

C’est complexe.

On parle de Gaza. Oui. Mais quel lien fait-on entre Gaza et l’impérialisme ? Gaza ce n’est pas en Russie.

Les gens croient bien faire en condamnant l’invasion de l’Ukraine. Du moment que ça ne les concerne pas, que cela permet à leur sympathique impérialisme de se tirer des flûtes. C’est qu’ils éprouvent le besoin de le défendre par dessus le marché.

Mais qui est-ce qui a déclaré la guerre en Ukraine ? Qui a commencé ? On dit que tout est de la faute des Russes, mais c’est un peu court. Pourquoi les Russes ont-ils envahi l’Ukraine ? Qu’est-ce qui s’est passé en Ukraine ? Qu’est-ce qui s’est réellement passé en Yougoslavie ? Qu’est-ce que fait l’Ukraine ? Que veut l’Ukraine ? Pourquoi ? C’est ça la question. Quelles sont les raisons des Russes ? Il y a des gens qui se mettent alors à dénoncer l’impérialisme russe. Poutine ferait la même politique que les tsars ?
C’est cela, oui, comme dit Thierry Lhermitte au téléphone dans Le père Noël est une ordure quand on l’insulte. C’est cela..
Et ceux qui le disent eux ne seraient pas dans le déni par hasard ? Le déni le plus total. Ne nieraient-ils pas l’évidence, les faits ? L’impérialisme lui-même ? Tout ensemble ? Pour raconter une histoire à leur manière. Ils accusent, accusent, accusent.. C’est tout ce qu’ils savent faire. En même temps que broder.

On se trompe d’adresse.

On ne voit pas les catastrophes infligées par l’impérialisme au reste du monde. Et on déclare des guerres aux pays communistes pour tenter de faire s’effondrer le communisme, qui n’est rien d’autre que le fait pour un peuple de s’occuper de ses propres affaires, de gérer soi-mêmes ses ressources. C’est pour cela que Lénine s’est battu. Que la Russie se bat. Que les gens du Donbass se battent.
La Corée, le Vietnam, le Cambodge, le Congo, la Somalie, et tant d’autres. Le Nicaragua où ils entretiennent des paramilitaires, la Contra, dont la seule raison d’être depuis des générations est d’assassiner des civils, des paysans, de semer la terreur. Ne parlons pas de Cuba, sous embargo depuis 65 ans. Victimes d’agressions systématiques. De la Chine dont ils exploitent la main d’œuvre, où ils effectuent leurs recherches sur des virus, et provoquent des épidémies.

Toutes ces catastrophes que les impérialistes ont causées, c’est ce qui leur permet de rouler carrosse et de critiquer les autres.

À force de propager des erreurs, on en fait une fiction. On arrange les choses. On a fait du passé une fiction. Et on en remet des couches, de sorte qu’il devient presque impossible de dénoncer les erreurs, les déformations. Elles font parties des croyances fondamentales de tout un chacun. Du moins dans les pays dont ces croyances ont fait des sociétés de consommation qui vivent au dessus de leurs moyens.
On a affaire à de la propagande.

Le centième anniversaire de la mort de Lénine, est l’occasion de donner un peu de corps à cette fiction.
Les médias se saisissent de l’occasion pour propager le vide.

On ne connaît pas Lénine. On ne sait pas ce qu’il a fait. Dit. Pourquoi. On le diabolise. On déforme les faits. On déforme tout. On déforme, on déforme. Et on se vautre dans l’ignorance que l’on propage. On professe des erreurs avec conviction. Et on essaie de faire état d’une sorte d’autorité. En réalité, c’est du cabotinage. Comment cette société se complaît encore dans ce genre d’attitude, c’est la question qui me taraude ? Ne se sent-elle pas ridicule ?

Il est impossible de dénoncer les erreurs commises parce que tout simplement les moyens de communication de masse, l’enseignement sont aux mains des élites qui les entretiennent, qui les fabriquent. Ce n’est pas dans les médias impérialistes qu’on peut parler à bâtons rompus du léninisme. Et on a du mal à réfléchir quand cette réflexion n’a aucun impact sur les faits, ou quand elle a seulement un impact différé sur les évènements.Tout ce qu’on peut faire c’est multiplier les structures alternatives où l’on débat en dehors des canaux de la presse et des médias mainstream.

On est loin du compte. On navigue à vue, et on se trompe. On fabrique des mythes également. On a du mal à faire le lien par exemple entre Lénine et l’impérialisme. Sauf à réduire l’impérialisme à ce qu’il était du temps de Lénine. Or l’impérialisme détruit directement les ressources d’un quart de l’humanité, et indirectement celles des autres, détruit la nature, pour le seul profit d’un tout petit coin du monde, d’un tout petit pour cent de l’humanité qui dilapide les ressources existantes. L’impérialisme est la source de la codification érigée en règle universelle qui sert à engendrer des profits phénoménaux et à justifier des guerres. L’humanité cherche certes le moyen de remplacer les ressources manquantes, et ne cesse de découvrir des nouvelles technologies, mais elle se heurte ce faisant aux intérêts des multinationales qui profitent d’elle, et qui provoquent toutes sortes de catastrophes en tout genre pour pouvoir continuer à le faire. Le plus possible dans une partie du monde où les catastrophes font suite les unes aux autres. Les écologistes sont incapables de mettre le doigt sur le problème. Ils sont prêt à reprocher au Tiers-Monde, à la Chine la destruction massive de l’environnement. Ou mettent tout cela sur le compte du réchauffement climatique.



  1. J. Baynac, A. Skirda et C. Urjewicz, La terreur sous Lénine, édition établie par Charles Jacquier, L’échappée, 2023, 377 p.. ↩︎

 

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