Tout n’est pas permis, même pour des raisons politiques

Avanti populo!

Tout n’est pas permis, même pour des raisons politiques

Petite souris perdue

Réflexion à propos de l’audience des 20 et 21 février, où l’appel de la défense de M. Julian Assange est examiné

Au moment où l’on arrive à cette audience du 20 et du 21 février, je relis ce que Craig Murray explique au sujet de celle d’octobre 2020. Et je voudrais partager les quelques réflexions qui me sont venues. Les témoignages de Chomsky et d’une autre personne ne sont pas examinés à l’audience. Ils sont rapidement placés sur une pile. Ceux des deux témoins des faits en Afghanistan et en Irak également. Craig Murray est fort désappointé. Il prétend que le témoignage de vive voix de ces témoins aurait changé la donne.
Ci-après un bref résumé de l’intervention de Noam Chomsky, et mon point de vue à ce sujet.

Chomsky cite le texte de Hume.. Inutile de dire que sa compréhension de ce philosophe est peu commune. Le texte de Hume considère que seule l’opinion permet aux gouvernants de diriger le peuple, qui et toujours beaucoup plus puissant que lui..
Il faut dire qu’à l’époque de Hume, au 18ème siècle, les techniques de surveillance et les techniques militaires peuvent être plus facilement utilisées contre le gouvernement. La seule existence d’un corps de militaires organisés et disciplinés rend toutefois le grand nombre moins dangereux qu’il ne le paraît.

Les guerres visent du reste à discipliner et à organiser davantage cette organisation militaire. Ou elles sont le résultat de son amélioration. Elles rendent en même temps cette force nécessaire aux yeux de l’opinion parce qu’elle protège le peuple, qui en cas de guerre perd en partie, voire tout ce qu’il a et ce qui lui permet de vivre. Du reste, l’effet des guerres est souvent de garantir l’obéissance du peuple.
Le déséquilibre en faveur du peuple n’est donc pas garanti, contrairement à ce que prétend Chomsky, qui, en cela, est d’accord avec Hume. Mais il est certain que l’opinion joue un rôle clef. Si même les forces organisées, l’armée, sont convaincues qu’il faut changer de gouvernement, il ne reste plus grand-chose à faire à ce dernier.

Le contrôle de l’opinion est donc bien entendu un aspect essentiel de la gouvernance et du pouvoir.

Cette nécessité s’explique par le fait que le pouvoir contraint les individus qui n’aiment pas la contrainte. Cette contrainte peut être bonne ou mauvaise.
Selon moi, dans les sociétés libérales, le paradoxe, est que, malgré la contrainte permanente, les individus se sentent généralement libres.

Cette manière de présenter les choses incite également Chomsky à prétendre qu’une société est d’autant plus redoutable pour le pouvoir qu’elle lutte depuis longtemps, qu’elle est celle où les masses ont toujours lutté et ont obtenu un nombre de libertés considérables.
Chomsky ne dit pas que ce type de société est libre, mais qu’elle est moins facile à gouverner.

Ce n’est pas certain. Ce mode de gouvernance est également assez efficace, et introduit un facteur collectif dans la gouvernance, qui doit en fait tenter de se positionner par rapport à l’opinion publique. Il peut faire abstraction des revendications de la population, c’est généralement le cas, mais il s’en saisira s’il le peut également, et elles ont une influence, fut-elle minime. Le débat public nourrit également la réflexion du pouvoir. Mais cette liberté implique en tout cas de recourir à un type de gouvernance déterminé. Et dans certains cas au mensonge.

Hannah Arendt a traité de la question du mensonge dans un de ses livres sur la guerre du Vietnam: Du mensonge à la violence. Elle prétend alors justifier la désobéissance civile dans le cadre de la démocratie. Mais il s’agit d’une pétition de principe.

Selon Chomsky, quand, pour gouverner il faut mentir, ce qui est le cas dans une société libérale, parce que dans une société libérale, il faut communiquer, cela, ce type de gouvernance confère une importance particulière à la communication, aux relations publiques. Les enjeux sont communicationnels. Plus la société est libérale, plus l’appareil de propagande du pouvoir doit être efficace et puissant, et, en même temps, si possible, indéchiffrable, pour reprendre une notion chère à Julian Assange.

Le mensonge comporte un avantage par rapport à la vérité. Il surprend, il sert à attaquer par surprise. Ainsi, pendant tout l’entre-deux guerres, les puissances occidentales aident l’Allemagne à réarmer, mais elles ne le disent pas. Elles mentent systématiquement à ce sujet. Elles prétendent exactement le contraire. Le gouvernement français prétend qu’il est dupe, qu’il est impuissant. En fait, il est complice. Lorsque Hitler commence ses conquêtes, on dirait que tout le monde tombe des nues. C’est l’effroi. Les masses sont effrayées. L’attaque allemande surprend. Et bien sûr, elle est rapidement victorieuse. Tout cela avec la complicité des dirigeants européens qui se mettent rapidement au travail, réorganisent l’économie, et pas seulement l’économie. Ils renoncent aussi à la démocratie. Sauf en Angleterre. On connaît la suite. L’Allemagne peut mobilier un maximum de forces contre l’Est, la Russie. Et les industries européennes lui fournissent en partie l’aide matérielle dont il a besoin. les Américains également.
Dans ce cas, le mensonge est contre-productif, dans la mesure où il contribue à faire abolir la démocratie, à mettre fin à d’état de droit, qui, dans le cadre du troisième Reich, n’est plus qu’une fiction, une fausse fiction.
Il y a donc bien des mensonges qui sont critiquables.
On pourrait aussi évoquer la situation du Congo en 1960.
Chomsky parle brièvement de la décolonisation. Il explique que le mensonge consiste à prétendre que l’on combat l’Union soviétique. L’opinion publique est encore persuadée qu’il en est bien ainsi aujourd’hui, alors que les guerres de décolonisation ont toutes servi avant tout à imposer aux peuples décolonisés des gouvernements que les puissances néocoloniales tenaient bien en main, de manière à pouvoir continuer à exploiter les ressources de leurs ex-colonies, sans plus cette fois débourser un franc pour le faire. On sait ce qu’il est advenu de l’aide financière octroyée à ces ex-colonies qui furent confrontées à des pratiques usuraires monstrueuses, et qui n’ont pas fini de la rembourser.
Ce mensonge sert peut-être à contenir (containment) l’influence soviétique, mais il se révèle extrêmement dommageable aussi pour certaines populations du Tiers-Monde, acculées dans certains cas à la famine et dans d’autres à la guerre, et livrées à des tortionnaires, dans certains cas formés par des experts occidentaux. Le cas de l’Indonésie sous Sukarno est emblématique. Un million de victimes. Est-ce que cela peut se justifier pour des motifs politiques?

Le nœud de l’explication tient cependant en ceci.. Ce genre de pouvoir ne peut tenir que s’il ment constamment, et si bien sûr, on ne le sait pas. Sinon, il n’y a pas, ou plus de mensonge. Chomsky parle de dissipation du pouvoir quand la vérité vient à être connue.

Les exemples qu’il cite, notamment celui de la négociation d’un traité de libre-échange, sont édifiants.

Noam Chomsky se saisit de l’occasion pour exposer la mécanique du pouvoir, le rôle des gouvernés qu’il taxe de tiers ignorant et gênant. (Du moins, selon lui, c’est le point de vue du pouvoir les concernant.) Il évoque un mécanisme : le fast track. Un vote plus ou moins obligatoire du Congrès ou du Parlement, et qui a lieu sans en passer par des débats complexes ou approfondis.

La conclusion que je tire de cette explication, c’est que le mécanisme du pouvoir dans les sociétés libérales est fortement porté sur le mensonge, et sur la mise à l’écart du plus grand nombre. Il s’agit d’un constat. Il ne s’agit pas ici de moraliser le débat. Ce mécanisme représente un équilibre sans lequel le pouvoir se dissipe, s’effondre. On peut détester le mensonge, et il y a de quoi, mais les gouvernants n’ont souvent pas eux-mêmes la possibilité de modifier les choses. S’ils ne mentent pas en permanence, non seulement ils perdent le pouvoir, mais la société se désagrège, s’effondre, tombe aux mains de dictateurs, ou se révèle incapable d’affronter la concurrence que lui livrent les autres sociétés ou nations.

La question de la vérité est donc celle-ci : en dépit du fait que la société est incapable de s’organiser autrement, est-ce que la vérité lui est utile et nécessaire, et dans quel cas ?

Je connais Julian Assange de réputation. Mais mon intérêt pour lui découle du fait que j’ai également passé ma vie à tenter de démêler le vrai du faux. Je me suis servi d’autres outils que les siens. C’est toute la différence. Je ne suis jamais parvenu à entrer en rapport avec des lanceurs d’alerte, et quand cela eut été le cas, j’aurais été incapable de déterminer si j’avais affaire à de la pure provocation, à de l’intox, ou à des informations fiables et exactes. L’on m’a un jour mis au courant de l’existence d’activités complètement illégales concernant des matières fissiles (nucléaires) qui avaient cours au centre nucléaire de Mol en Belgique. Je ne me rappelle même plus de quoi il s’agissait. Mais si cela était exact, de fait, l’opinion publique n’en était pas informée. Cela dépassait tout ce que j’avais déjà entendu à ce sujet.

Est-ce que l’opinion publique aurait eu intérêt à en être informée ? Je pose la question.

J. Assange défend des convictions politiques que nous partageons, qu’une grande partie de la population partage, explique Noam Chomsky, des convictions qui font d’elle une démocratie, respectueuse des droits de l’homme, respectueuse aussi des droits des autres peuples en général. Julian Assange les défend en comprenant que ce respect n’est pas exactement l’objectif poursuivi par les gouvernements de ces peuples démocratiques dont il dénonce les mensonges. Il est un fait que ces gouvernements n’ont pas vraiment le choix non plus. Ils ne peuvent faire autrement. Ils sont comme saisi dans un engrenage et dans un rapport de force qui les force à mentir en permanence. Noam Chomsky pense que Julian Assange a rendu un énorme service aux peuples du monde. Mais il fait part, là, d’une conviction. Rien n’empêche de considérer que ceux qui essaient de faire taire Julian Assange rendent également service à ces populations, parce que, sans leur mensonge, l’économie cesserait de fonctionner, la guerre elle-même serait peut-être même inévitable, le sort de ces populations n’en serait probablement pas meilleur.

Je pense aussi que, dans certains cas, l’opinion publique devrait être informée. Mais, pour en revenir aux informations qui m’ont été communiquées qui concernent le nucléaire, et qui étaient peut-être de l’intox, comme celles qui ont servi à justifier la seconde guerre du Golfe, soit il s’agit d’un mensonge, pour servir par exemple une accusation, soit il s’agit de la vérité, et sans cette vérité, les activités nucléaires de la Belgique, qui lui fournissent 60 % de son électricité, seraient probablement remises en cause. Je partage l’idée que si l’on était informé de ce genre d’informations, l’on serait tenu de s’organiser autrement, de manière plus respectueuse de l’environnement, du peuple belge et des autres peuples. Mais le peuple belge ferait-il l’effort de s’organiser autrement ? Rien n’est moins sûr. Toute la complexité de la politique réside dans cette incertitude. La politique consiste à organiser la cité, et donc la population, la société. C’est à la fois une tâche nécessaire, et difficile, complexe. Une organisation ne se met en place que par saut, par à coups, en recourant notamment à des crises. Je ne défends pas le mensonge. Mais je pense que défendre crânement la vérité n’a pas beaucoup plus de sens.
Je me demande seulement si l’on n’atteint pas parfois une limite. Contrairement à Craig Murray que je remercie pour son engagement, je me félicite que de tels débats aient cours. cela atteste du fait qu’on vit en démocratie. Mais à mon avis la question des limites du mensonge et de la politique se pose. Ou, en tout cas, il s’agit de la, poser. On sait qu’en droit, en principe, certaines limites sont mises à l’exercice du politique. Sans cela, un tribunal comme celui de Nuremberg n’aurait pas de sens. La question est la suivante: est-ce que, dans certains cas, nos dirigeants ont outrepassé certaines limites, et est-ce que la population a pu s’en apercevoir ou pas, et dans ce cas, aurait dû réagir, et surtout comment? Est-ce que les mécanismes en vigueur permettent à la population de réagir? Il me semble que, dans le cas où nos gouvernements dépassent ces limites, en informer la population lui est utile, lui rend positivement service. Mais il reste à se demander comment elle peut réagir. Certains crimes, même ceux d’un gouvernement démocratiques doivent pouvoir être dénoncés. N’importe quel mensonge n’est pas acceptable. Il faut aussi pouvoir les sanctionner. En tout état de cause, ce n’est pas Julian Assange, ici, qu’il s’agit de sanctionner.

 

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