De la complexification de la politique
Réflexion à propos de l’impact des transformations structurelles de la Belgique et de l’état-nation en général.
Belgique, où es-tu?
En trois-quarts de siècle, un pays comme la Belgique a connu de nombreux changements structurels. La complexification des institutions est allée croissant et ceci a entraîné un changement radical notamment en ce qui concerne les rapports entre le pouvoir et la population. Si au début du vingtième siècle, la population était rarement consultée, elle était informée, en tout cas une partie. De nos jours, l’information du pouvoir traite de questions d’éthique et de la politique locale, ou internationale, mais la population n’est plus informée. C’est l’Union européenne qui prend désormais la plupart des décisions politiques importantes. La population en est à peine voire pas du tout informée. Leur application en Belgique ne suscite une couverture médiatique que lorsqu’elles rencontrent une opposition. Il est un fait que l’Union européenne a monté la population contre le pouvoir qui est censé imposer des mesures que la population rejette majoritairement. Cela se traduit par l’impossibilité de former un nouveau gouvernement. Le blocage est complet et le risque d’éclatement de la Belgique est réel. L’Allemagne y gagnerait peut-être quelques centaines de kilomètres carrés à l’Est de la Belgique. Et la France pourrait bien finir par annexer la Wallonie comme elle rêve de le faire depuis longtemps. Quant à la Flandre, elle profiterait toute seule des immenses ressources du Congo qu’elle importe et qu’elle transforme, ce qui est déjà le cas, et s’en tirerait probablement toute seule, sauf qu’il se pourrait que, dans moins d’un siècle, elle soit quand même confrontée aux conséquences du réchauffement climatique, bref à une forte élévation du niveau des mers que les experts estiment entre 6 et 80 mètres, si leurs calculs s’avèrent fondés.
Il est rare que des experts mettent le risque grandissant de
séparation de la Belgique sur le compte de l’Union européenne, ou plutôt sur
les mécanismes informationnels qui accompagnent son leadership, mais il en est
ainsi à cause d’un biais, d’un conditionnement, d’un a priori favorable à l’Europe
au sein de la caste dirigeante (professeurs d’université, cadres, dirigeants,
et nantis).
Quelle attitude adopter face à cette non prise en compte de la situation et
face à l’aveuglement ou à l’impuissance des milieu dirigeants ?
D’abord il s’agit de mesurer le risque qu’une séparation fait courir à la population. Principalement l’éclatement et la disparition de la sécurité sociale telle qu’on la connaît, sa privatisation, en tout cas en Flandre, et probablement en Wallonie aussi, où la gauche de pouvoir se retrouverait sur la sellette et mise à l’écart, comme cela a été le cas en Grèce et partout ailleurs, au moyen de campagnes médiatiques systématiques. Même si la Wallonie est annexée par la France, le poids qui en résulte ne suffira pas à concurrencer celui de l’Allemagne unifiée depuis la fin des années 80. Et de toute manière, la France est un pays probablement encore plus élitiste et conservateur que l’Allemagne. Comme au U.S.A., la gauche s’y heurte à la connivence des milieux dirigeants, des médias, et du monde de la finance. La description de La caste ne laisse aucun doute sur la finalité d’une telle unification, à supposer que la Wallonie ne préfère pas s’unir au Luxembourg, ou demeurer indépendante.
Dans quel monde vivons-nous?
Ces angoissantes questions d’actualité ne devraient pas cependant servir à occulter le rôle ou l’impact beaucoup plus général des profondes transformations structurelles des états et en particulier des états occidentaux ces dernières décennies. Non seulement sur la démocratie, mais sur les mœurs, la justice, les droits de l’homme, la politique internationale, les inégalités.
C’est que les Belges ne sont pas les seuls à être concernés par l’évolution structurelle de leur état. La plus grande partie du reste du monde l’est également. S’efforcer de mener sa barque dans un tel environnement n’a plus rien à voir avec la politique telle qu’elle avait cours au début du vingtième siècle, en butte lui aussi à un début de structuration non seulement économique, mais politique, à l’échelon international. Les choix opérés à cette époque sont cependant significatifs et continuent à peser sur la société de nos jours. Notamment le choix de diviser sans fin, d’opposer les masses, les groupes humains, de les enfermer dans des territoires, tout en y laissant pénétrer les marchandises.
Ces choix semblent aujourd’hui délétères et périmés. Mais les moyens de les contrecarrer, de changer complètement d’orientation font totalement défaut. Ces choix eux-mêmes ont renforcé les tendances conservatrices et leur idéologie, le racisme, et entraîne une fascisation croissante des masses et des appareils politiques en train de récupérer à leurs profit exclusif l’alternative écologique qui s’est efforcé de les contrebalancer pendant quelques décennies sans toutefois parvenir à intégrer certaines valeurs sociales comme l’égalité, ce que certains appellent le Greenwashing.
La complexification croissante de la législation et des institutions nationales ou internationales ne va pas souvent dans le sens d’une démocratisation de la vie en société. La prolifération des associations citoyennes, en soi une bonne chose, en témoigne. Leur impuissance aussi.
À l’échelon international, la transformation du travailleur en une sorte de matériau, de marchandise, rend compte de la gravité de la situation.
Les outils démocratiques également font défaut. Le suffrage universel ne paraît plus représenter un instrument capable de combattre les inégalités existantes, ou de proposer une alternative, à supposer qu’il l’ait jamais été.
La seule alternative existante reste le modèle communiste, qui ne peut fonctionner que dans des sociétés entièrement détruites, mais encore capables de se défendre. Rien à voir donc avec les sociétés capitalistes avancées.
L’exportation du modèle démocratique occidental dans des sociétés sous-développées, autrement dit anéanties par le capitalisme, engendre systématiquement des catastrophes de grande ampleur comme au Rwanda, quand elle ne sert pas de prétexte à mettre en place des dictatures, ou ne suscite pas directement des interventions militaires pour garantir les droits exclusifs des élites et des multinationales occidentales. Dans tous les cas, elle sert à aggraver les inégalités.
En conclusion
La complexité structurelle des sociétés développées, bien plus sophistiquée que Hobbes lui-même ne l’avait imaginé en rédigeant son Léviathan, doit être interrogée plus avant. Elle sert trop souvent d’explication à une forme d’immobilisme, et au pourrissement institutionnel qui sert lui-même à justifier un nouveau déploiement institutionnel. Elle entraîne une incapacité certaine à changer et à transformer ce qui doit l’être et incite à changer ce à quoi il ne devrait pas être porté atteinte, réaction normale en temps de crise, dira-t-on, avec Kondratiev, mais néanmoins catastrophique. L’incapacité à affronter valablement le défi climatique, le refus dûment dissimulé, ou exacerbé de le faire, en découle naturellement.
Il est évident que la crise mondiale est structurelle et qu’il faut modifier les structures existantes, au lieu de prétendre aggraver encore leur impact sur des collectivités en tout genre, sinon sur la plus grande partie de l’humanité. Le fait de se placer hors d’atteinte des masses par l’accumulation de richesses n’en expose pas moins les plus riches également. Il les expose même davantage que s’ils faisaient des efforts pour transformer ce qui doit l’être, au lieu de chercher à détruire systématiquement les moyens que se donnent les moins riches pour tenter de survivre, de s’entraider.
Il s’agit aussi de prendre la mesure de la complexité technique de cette société, et des nécessités organisationnelles qu’elle implique. En un sens, il ne s’agit pas non plus de détruire toutes les structures économiques existantes. Les vraies révolutions ont construit des sociétés plus performantes, elles ont servi à conserver, pas à détruire ce qui existait. Et la performance ne réside pas uniquement dans la rapidité, dans l’excès de dépendance, dans l’inégalité et la verticalité des choses, dans leur rigidité, autrement dit dans une flexibilité à mauvais escient. Encore moins dans un cloisonnement étroit, fut-il le corollaire d’une certaine ouverture de principe.