Le temps de la démocratie

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Le temps de la démocratie

Sculpture à Maastricht

Le point positif de cette guerre, c’est qu’en dépit des mensonges, des pressions, en dépit des répétitions du narratif obstiné des Occidentaux, des poncifs, elle suscite une sorte de réveil. Le monde se rend compte de son état de soumission aveugle aux directives occidentales, à ses diktats, à ses injonctions, exigeant non seulement qu’on leur obéisse, mais qu’on souscrive à leurs explications. Il se rend compte également qu’il n’est pas, qu’il n’est plus complètement cet enfant indolent, cet individu sauvage que l’Occident a tendance à croire qu’il est encore. Comme si, du reste, il l’avait jamais été. Tandis que l’Occident s’accroche à des clichés, le reste du monde se découvre
Cela on le doit un peu à la guerre en Ukraine. Plus qu’à la guerre en Syrie. Pourtant une leçon de premier plan également. C’est que l’Occident tient beaucoup plus à l’Ukraine qu’à la Syrie, qu’il était prêt à bombarder intégralement comme il a fait en Irak, en Serbie, en Afghanistan. Il y tient à sa manière. Il se fiche complètement du sort des Ukrainiens. Du reste, il est le premier à leur rafler ce qu’ils possèdent, sans parler de la vie que la guerre par procuration qu’ils font à la Russie ôte à tant d’entre eux.

Les Occidentaux s’acharnent à armer l’Ukraine, ou du moins la partie de l’Ukraine qu’ils contrôlent, et à la pousser à faire la guerre à la Russie, à la provoquer, notamment en l’humiliant, parce qu’ils ne parviennent pas à transformer cette dernière en vassale, en pion, en gladiatrice, bref en nation esclave, comme ils ont fait avec pratiquement tous les autres, en commençant par eux-mêmes, en mettant fin à toute espèce de souveraineté dans le cadre de leurs unions et de leurs organisations, qui encadrent leurs forces militaires, comme l’O.T.A.N., qui gèrent leur économie comme le F.M.I., la Banque mondiale, l’O.M.C., ou l’O.C.D.E., qui prétend imposer un ordre sanitaire international comme l’O.M.S., ou qui prétend le diriger politiquement, l’orienter comme l’Union européenne, qui est moins une union qu’une organisation.

L’Union européenne est une nouvelle venue, en tout cas par rapport à l’O.T.A.N., ou par rapport à l’O.N.U., mais elle a les dents encore plus longues. Elle reste toutefois complètement soumise à la diplomatie étasunienne.

Les Occidentaux se sont bel et bien associés à l’empire étasunien. Ils n’ont guère eu le choix. Et ils ont retrouvé une partie de leur allant et de leurs habitudes conquérantes.

Le reste du monde, lui, n’est pas encore conscient de toutes les inégalités qui le grèvent parce que le discours sur l’inégalité n’a rien à voir avec le discours sur la liberté. Il se rend compte qu’il est privé de liberté, mais pas encore qu’il n’en est ainsi que parce que les relations internationales sont systématiquement inégalitaires. Il comprend que ce sont des inégalités non seulement structurelles, mais organisées, instituées, comme le disait Samir Amin qui le condamne à la misère, mais il ne parvient pas à s’intéresser à ces inégalités, parce qu’elles sont intrinsèques à sa nature, à l’organisation des sociétés qui le composent. Il ne s’intéresse pas encore trop aux inégalités. Les masses bien. Surtout celles qui trinquent pour extraire les matières premières qui servent avant tout aux autres. Celles qui en bénéficient encore de manière outrancière ne s’aperçoivent pas encore de l’injustice et de l’iniquité des rapports entre les nations. Elles se projettent dans une humanité qui ne ressemble qu’à eux. Aux autres d’admettre toutes leurs idiosyncrasies, le mariage homosexuel, les personnes non genrées, la femme libre. La seule chose qui leur est interdite, c’est de se prendre pour le nombril du monde. Surtout aux hommes. Une stricte hiérarchie s’imposent à eux. Les hommes se classent en vertu de leurs origines aussi sûrement qu’en fonction de leur taille. Même les ultrariches. L’on peut être ultrariche dans n’importe quel pays du monde. Mais l’on n’aura jamais la même chose à dire que le Blanc, qu’un Occidental. Et un Blanc aura moins à dire qu’un Américain, quoi qu’il arrive. Du moins s’il est du même rang, du même niveau hiérarchique dans sa société respective.
Tout cela cependant est en train de basculer. L’Occident lui-même n’est pas pour rien dans ce basculement. Il a longuement préparé le terrain. Cinéma, technologie nucléaire, médicale, et autre ont essaimé, ont conquis le monde. Dans tous les grands pays, des experts, des spécialistes aussi réputés que les spécialistes occidentaux, des artistes de très grand talent ont voix au chapitre. Ils ne gagent pas le dixième des prix Nobel, ils n’enseignent pas dans l’une des cinq grandes universités anglo-saxonnes existantes, mais ces dernières ont perdu presque tout le prestige qui leur était associé. La différence est de plus en plus mince entre un chercheur de l’université de Kinshasa ou de Harvard. Le salaire diffère. Les immenses moyens que confèrent encore un titre universitaire dans certaines universités américaines font cependant de ceux qui y travaillent des gens qui disposent de certains privilèges. Mais il s’agit davantage des bêtes de concours, voire d’idiots congénitaux que de véritables savants. Leur science n’a de réel intérêt que parce qu’elle provoque avant tout des catastrophes. L’Occident vit en partie au passé. Il se mire dans une gloire ancienne. Pour ce qui est de ceux qui y font bouger les choses, ils diffèrent de moins en moins de leurs homologues brésiliens, indiens, chinois, ou sud-africains. Si les choses avancent aussi vite, si la technologie fait encore autant de progrès, on le doit de moins en moins au MIT ou à des professeurs d’Oxford et de plus en plus à la valetaille universitaire des quatre coins du monde qui, échappée des labos où on l’enferme pour que ses immenses compétences contribuent à fourbir le mérite de quelques autres, retourne former des jeunes au fin fond des jungles et des déserts. Du reste les pays qui ont misé sur les grandes écoles l’ont compris. Il n’y a pas qu’à l’université qu’on fait du bon travail, qu’on invente.

Quant à la Russie, elle est en train de booster les choses, de rendre visible cette transformation. Elle incite subitement toute une partie du monde à prendre ses distances par rapport à l’empire, qui prétend le régir, le diriger, lui imposer tous ses caprices. Et ce n’est même ps de sa faute. C’est l’Occident qui lui a cherché des poux, qui la harcèle depuis des siècles, qui prétend à la fois l’intégrer, et en même temps, la dépouiller, comme il a tenté de le faire au cours des années 90, après l’effondrement du communisme. La Russe n’entend pas se laisser dépouiller. Elle n’est pas dupe de la logique faussement ordonnatrice de l’Occident, en train de laisser une poignée de milliardaires lui imposer leurs vues, leur sens exécrable de la fiscalité, leur vision frelatée de l’égalité, voire carrément des conceptions eugénistes, racistes, suprémacistes, nationalistes, leur esprit va-t-en guerre. C’est qu’ils financent à peu près tout ce qui compte. Non seulement des organisations internationales, mais également les campagnes électorales des prétendues démocraties accomplies. En fait, il n’ y a pas un pays au monde où les élections ne sont pas faussées, orientées, où les dirigeants ne sont pas pratiquement imposées par d’autres puissances, le plus souvent par des puissances occidentales, expertes dans l’art de fausser des campagnes électorales, des scrutins, des référendums au moyen de médias aux ordres, complètement instrumentalisés.
Il n’y a pas que le monde qui change. La démocratie aussi est en train de s’apercevoir qu’elle ne correspond pas ou plus à grand-chose, qu’elle n’est plus qu’un mot, souvent vide, qu’elle sert avant tout de prétexte, qu’elle sert à interdire tout débat démocratique, au lieu de le rendre indispensable, qu’elle sert à briser les peuples qui s’efforcent de se doter d’un espace public propre, autonome.
Douguine, un philosophe russe, a en partie réussi à cerner cette question.

Ce n’est rien d’autre qui fait dire à Poutine qu’il défend la démocratie contre l’Occident qui la vide de son sens.
Les choses sont probablement encore un peu plus complexe que cela, mais c’est à cet égard, à propos de la démocratie, que les progrès sont les plus difficile à accomplir, que la jalousie, le despotisme des puissances et du capitalisme s’expriment et s’exercent avec le plus d’opiniâtreté, et d’intolérance.

 

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