Quelques bonnes raisons de se mobiliser

Avanti populo!

Quelques bonnes raisons de se mobiliser

clôture dans la neige

Remarques à propos de la lettre aux vivants de L. de Sutter.

Belle lettre que celle de Laurent de Sutter à propos de notre ressenti concernant le confinement auquel nous sommes astreints, qui incite à réfléchir. Voici quelques précisions supplémentaires concernant le même thème.

1. On est des morts-vivants, mais pas depuis le confinement et la crise sanitaire à laquelle nous avons affaire, depuis bien plus longtemps. Depuis avant la crise des subprimes, depuis Auschwitz en tout cas. Depuis qu’on sait qu’un pouvoir fou peut décider de faire de nous des savonnettes, et que nous sommes incapables d’empêcher certaines forces de prendre le pouvoir dans certaines situations. Depuis qu’il existe des bombes nucléaires, des milliers de missiles balistiques nucléaires, des centrales nucléaires, depuis que croupissent au fond des mers des millions de tonnes de déchets militaires toxiques. Et pour d’autres motifs encore. Et non des moindres. Alors cette crise sanitaire et son confinement sont un peu comme la mouche du coche, comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase, la vase, oui.. Oui, nous sommes des morts-vivants. Ou des vivants et demi selon Sony Labou Tansi. Parce que les morts-vivants ont le privilège de vivre une demi-vie en plus. Un vie de combats incessants contre des maux sans cesse nouveaux, de mobilisations contre un arbitraire de plus en plus envahissant, contre des périls, des cataclysmes inédits.

2. Il y a longtemps que je passe mon temps à arpenter les quelques mètres de mon salon sans rien faire d’autre en un certain sens. Mais le chômage n’empêche personne de faire le tour du monde. Et je connais des chômeurs qui l’ont fait à vélo. J’ai profité du chômage pour rénover gratos l’appartement de quelques copines, pour aider des vieux à reprendre le contrôle de leur ordinateur, pour lire ce que je n’aurais jamais lu sans cela. Bref, chômer, c’est aussi mettre en application une conception de l’autonomie. C’est une forme de lutte.

3. Le monde de la production m’est étranger parce qu’il dépend de règles trop fermées, trop inégales, trop insupportables. De sorte que, oui, j’aime un certain confinement, je le préfère à la vie sociale classique où l’on n’est pas maître de soi. Pas assez. Ou le collectif lui-même ne veut rien dire cependant face à diktat d’un seul ou d’une seule. Je lutte cependant pour sortir de ce confinement pour faire mon choming-out comme on dit. Comme des ouvriers pour des améliorations de leurs conditions de travail ou contre des réductions de salaire.

4. Ce sont ceux qui travaillent, ceux qui se tapent le plus dur qui ont besoin de sorties, d’une culture bling bling pour se changer les idées, de sorties en veux-tu en voilà pour croire un petit peu à cette humanité que leur vie professionnelle ne leur permet pas d’apprécier suffisamment.

5. À vrai dire, je ne sais pas ce que signifie arpenter un salon. C’est bien simple je n’ai pas de salon. Je n’ai pas de voiture non plus. À quoi bon passer sa vie ailleurs que dans son salon si c’est pour arpenter les routes en voiture? Je fais des centaines de km à vélo chaque année. Je les fais souvent sur des pistes cyclables, sur des sentiers forestiers, sur des chemins de campagne. Alors, oui, je comprends, que lorsque ses enfants restent à la maison, qu’il faut s’en occuper, là, oui, d’accord, on se sent parfois coincé à la maison. Mais est-ce qu’on les aime suffisamment? Est-ce qu’on est prêts à s’occuper d’eux plus de dix minutes par jour? Pourquoi ne pas les emmener faire du vélo tous les jours, et réclamer en même temps plus de pistes cyclables, notamment pour que des enfants puissent faire du vélo en ville? Pourquoi ne pas se joindre à cent-mille à la masse critique et à Pro-vélo qui arpentent les rues de la ville chaque mois pour revendiquer un peu plus de sécurité pour les cyclistes? Non, demeurer dans son salon n’est pas une fatalité. C’est même ce confinement qui incite à sortir de son salon.

6. Le prestige que représentent ces activités inaccessibles à un chômeur que sont sorties en boites et restos, voyages au bout du monde et virées au bistrot, de fait, n’a pas tellement de fondement. Mais la bagnole, le gsm, la télé, l’avion, en ont-ils davantage? Les super-médicaments des super-sociétés pharmaceutiques en ont-ils autant qu’on essaie de nous le faire croire? Toutes ces nouvelles maisons unifamiliales que l’on construit en zone rurale en dérogeant aux zones de revitalisation rurale, qui se sont substitués aux plans d’aménagement ruraux et territoriaux, ou en dérogeant au PLU en France, sont-elles essentielles, avec leur dalle en béton, leurs murs en parpaings, leur trempoline et leur parement en bois tropicaux?

7. Ce n’est pas non plus la crise sanitaire qui a ruiné mes projets amoureux, chassé mes petites amies, qui m’a empêché de les voir, de les revoir, mais l’arrogance sociale des uns et des autres, qu’insupporte l’idée de savoir qu’un chômeur est heureux, des uns et des autres qui voient dans les conquêtes amoureuses d’un chômeur, des proies faciles et quelquefois intéressantes. D’où le Manifeste des chômeurs heureux.

8. Chômeurs et non-chômeurs, nous voilà condamnés à vivre un peu la même chose, dans des logements certes très différents, en métrage, en hauteur de plafond, en nombre de bibelots de valeur, en termes de cuisine équipée. L’avantage du mien, c’est que je ne passe pas trois jours à en faire les poussières. Je les fais moi-même et n’ai pas besoin de compter sur une femme de ménage polonaise ou espagnole. Tiens je m’étonne que les mesures gouvernementales n’aient pas abordé ce thème sensible. Car enfin, une personne est une personne. Ces travailleurs à domicile, comment les protéger? À moins que les sous-personnes ne comptassent pas pour nos chers dirigeants.

9. Quand j’ai perdu mon boulot, qu’il s’est révélé qu’il était vain d’en chercher un autre, à moins de me mettre à récolter des pommes et des poires au jour le jour, les joies, les plaisirs, les désirs, les surprises, les rencontres, les errances, les nuits qui n’en finissent pas, les corps étrangers ou familiers, les fous rires et les larmes de sang, ont été remplacés par d’autres. Ils n’ont pas disparu. J’ai été récolter des poires. J’ai donné des cours de français en Afrique du sud. J’ai été jusqu’en Chine chercher du boulot comme prof de français langue vivante, un métier qu’il me serait insupportable de faire en Belgique, alors que j’adorerais y enseigner le flamand. J’ai même été passer quatre journées à l’Alter école, croyant pouvoir y enseigner le flamand. Voyage en train, randonnée avec sac au dos dans la cambrousse en plein hiver pour accéder à l’Alter-école: la recherche d’emploi est parfois amusante.
Pas de rencontres, si ce n’est fortuites, occasionnelles, bref sans lendemain. Pas d’enfants, ni de chairs d’enfants. Mais, par contre, la découverte et la rencontre de sans-abris, de militants en tout genre, de migrants, d’immigrés, mes seuls vrais amis depuis un bon bout de temps. Une solidarité d’un nouveau genre. Des nuits passées à refaire le monde avec d’autres chômeurs. Des fêtes, des réveillons quand même, passés avec des artistes de rue hors du commun, à faire la vaisselle, certes, mais dans quelle ambiance, dans des festivals aussi, grâce à l’association article 27. Ok, ce n’est plus possible de nos jours. Les théâtres sont fermés. Les cinémas où j’ai vus de merveilleux films aussi. Mais il reste possible de faire des rencontres dans des trains, dans des manifes, même si c’est devenu un peu plus périlleux, d’apprendre des langues, de discuter sur Whatsapp en lingala, sur Facebook en flamand. Nionzo eza malamu.

10. Ce qui déçoit, ce qui désespère certains, c’est le caractère parfois arbitraire des mesures adoptées par le gouvernement. C’est leur côté aléatoire. C’est la peur qu’il ne s’enhardisse et qu’il ne prenne de plus en plus de mesures en partie injuste, qu’il ne se révèle encore plus arbitraire. Il s’agirait de fixer les limites de cet arbitraire. Il a aussi tendance à exiger trop de certains. Entreprendre quelque chose d’autorisé, et apprendre rapidement que ce n’est plus autorisé, n’est pas agréable. Ne pas pouvoir se rendre à cent kilomètres de chez soi et savoir que d’autres passent leurs vacances de Noël à mille, voire à dix mille km de chez eux n’est pas agréable, j’en conviens. Mais, ici, le confinement n’est pas en cause, mais la seule misère sociale, les inégalités qui ne cessent de croître. Nous sommes de plus en plus à nous retrouver du côté de ceux qu’on désespère, ce n’est pas nouveau. Ce qui est important, c’est qu’on s’en rende compte et qu’on se mobilise.

11. Ne pas toujours comprendre l’opportunité des mesures sanitaires gouvernementales prises suscite une inquiétude légitime. Pourquoi un tel engouement pour les vaccins? N’existe-t-il pas d’autres méthodes pour guérir les gens du Covid? Il est nécessaire d’exiger des explications étendues, de trouver le moyen d’en débattre, si possible ailleurs que sur Facebook ou dans des cafés. Il importe certainement de voir plus clair. Le débat sur Internet, dans les médias s’éternise. Les experts y ont trop souvent le dernier mot alors qu’ils ne voient qu’une partie du problème. Nous devons progresser.

12. Des mesures compensatoires se font attendre. Pour les artistes par exemple? Ou pour les hôteliers. Mais le gouvernement a créé le droit passerelle qui représente une réforme de premier plan, une conquête sociale au sens fort, qu’il s’agit de rendre parfaitement cohérente, d’intégrer aux autres systèmes sociaux existants.
Moins important, mais loin d’être négligeable, le gouvernement a également offert dix voyages en train gratuits. Cette gratuité devrait sans doute être automatique. Je n’ai été mis au courant de leur existence qu’au dernier moment par une amie. Sans cela, je n’y avais pas droit. Grace à eux, j’ai pu aller rendre visite à vélo à une amie que je n’avais plus vue depuis des années, et j’ai pu me rendre dans les Ardennes pour y faire une randonnée quand tout était blanc, enneigé.

13. Mais certains ont d’autres raisons d’être désespérés. Des coiffeurs, des étudiants comme l’écrit L. de Sutter, qui ont investi leurs dernières économies dans une petite entreprise, et que l’on empêche d’exercer leur métier. Mais, encore une fois, le confinement présente l’intérêt de voir la mort sous des formes inédites, des morts qui, sans lui, passeraient inaperçues, à moins de maladies incroyables. Il nous révèle d’authentiques injustices. Si nous ne prenons pas la peine de nous demander comment faire pour les combattre, il ne sert à rien alors de se lamenter.

14. Il existe trente-six manières de vivre. Certes chacun est un peu sur des rails et a construit sa vie selon les règles qu’il est capable de concevoir. Il lui est difficile de changer de vue du jour au lendemain. Mais, dans cette société, tous ont en principe le droit de faire une pause et de réfléchir, de chercher des solutions à leurs problèmes de vie, d’y mettre le temps qu’il faut, d’essayer de changer, de rebondir. C’est parfois dur. Trop dur. C’est un fait. Mais en prenant le temps de réfléchir, l’on trouve parfois des remèdes inédits, inespérés aux situations les plus abominables. Peut-être serait-il temps du reste de revendiquer le rétablissement du chômage à vie pour tous, y compris sur base des études, justement pour permettre aux gens de réfléchir, de se reconvertir, de changer de vie quand c’est nécessaire. Il serait également temps que l’on réforme un peu cette vieille administration de l’emploi qui a tendance à voir le travail et le chômage d’une manière un peu limitée, bornée. Non la solution ne consiste pas à apprendre à ramper à la perfection, à mentir à la perfection, à se persuader du bien-fondé de ce qui n’a aucun sens. Au contraire. C’est le contraire. C’est l’inverse.

15. Beaucoup de gens considèrent que la politique est l’affaire des politiciens seuls. Ils se trompent. Il est temps qu’ils le comprennent. Il est temps qu’ils comprennent que ceux qui font des grèves, qui occupent des ronds-points ne le font pas parce qu’ils s’ennuient, mais parce que les gouvernements sont incapables de prendre des mesures correctes si on ne les y contraint pas d’une manière ou d’une autre. Rien ne s’améliorera si beaucoup de gens ne se mobilisent pas, s’ils ne le font pas pour de bonnes raisons, plutôt que pour de mauvaises, plutôt que pour des motifs racistes par exemple.

 

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